Depuis la fin de 2019, une nouvelle arnaque sur l'isolation « à un euro » se répand de la Bretagne au Grand Est, ciblant en priorité les ménages les plus modestes. Elle les laisse avec un important préjudice financier car elle concerne cette fois l'isolation des murs extérieurs des maisons individuelles, un chantier bien plus onéreux que l'isolation des combles… et plus juteux pour les escrocs.
De plus en plus de maisons se retrouvent couvertes de panneaux en polystyrène gris, fixés à la colle avec quelques chevilles, sans joints ni enduit, bref du polystyrène nu qui tiendra… le temps qu'il tiendra selon la météo. L'entreprise, elle, a levé le pied, une fois les subventions perçues. (UNEEF)
On en voit de plus en plus dans la moitié nord de la France, de la Bretagne au Grand Est. Recouvertes de panneaux gris mal assemblés, des maisons ont l'air semi-achevées, témoignant de la nouvelle arnaque apparue à la fin de 2019 en rénovation énergétique : l'isolation des murs extérieurs « à un euro » . Les panneaux sont en polystyrène gris, fixés à la colle avec quelques chevilles, sans joints ni enduit, bref du polystyrène nu qui tiendra… le temps qu'il tiendra selon la météo. Peu importe à l'intermédiaire véreux : il a perçu les aides à la rénovation énergétique au nom du ménage, via les certificats d'économie d'énergie (CEE) et a décampé.
A raison de 15.000 à 18.000 euros le coût moyen d'une isolation thermique par l'extérieur (ITE), l'arnaque coûte cher au ménage, même s'il n'a payé qu'un euro. Car « impossible d'enduire un polystyrène mal posé, ça fissurerait. Il faut poncer pour refaire intégralement. Cela coûte plus cher qu'une ITE normale et le ménage n'aura aucune aide pour payer car on ne peut percevoir les aides deux fois », avertit Christian Smoliga chez le façadier FCA Eaubonne, qui voit les arnaques s'accélérer dans l'Oise et le Val d'Oise.
Ménages modestes ciblés
La cible préférée des escrocs étant les ménages très modestes, qui ont les aides maximales, la maison risque fort de rester en l'état. « Les propriétaires se retrouvent avec une maison défigurée, des plaques d'isolants qui se décomposent et se détachent. Un véritable cauchemar ! », fulmine Benoit Dulac chez les-Eco-Isolateurs, à Evreux.
Le polystyrène nu s'aperçoit de loin et outre l'Ile-de-France, « on en voit dans le Nord-Pas-de-Calais, l'Est de la France, la Bretagne… », égrène Christophe Waubant, de l'Union Nationale des Entrepreneurs d'Enduits de Façade (UNEEF). « Le phénomène est national, même s'il démarre juste et qu'il est trop tôt pour le quantifier », confirme Sabine Basili à la confédération des artisans du bâtiment (Capeb).
Dans l'Oise et le Val d'Oise, FCA Eaubonne s'alarme de voir de plus en plus de murs de maisons couverts de polystyrène gris à nu ou quasiment.FCA Eaubonne
Démarchage agressif
Ce n'est pas la seule arnaque. Une autre, moins fréquente car il faut plus de temps pour monter un dossier, permet d'empocher à la fois Maprimerenov et les aides de type certificats d'économie d'énergie (CEE). « L'escroc fait un devis à 150 euros le m2 pour maximiser les aides, passe une couche d'enduit qui masque l'absence de joint et qui cassera au bout d'un an. Cela lui coûte 20 euros le m2, contre 120 à 130 euros pour une ITE normale d'entrée de gamme », résume Christian Smoliga. Et quel que soit le type d'arnaque, « les éco-délinquants comptabilisent 50 à 100 % de surface en plus comparé à ce que nous mesurons quand on nous demande après-coup d'intervenir », témoigne Benoit Dulac.
Le scénario commence toujours par un démarchage agressif pour faire, dès le lendemain, une « isolation des murs à un euro ». Or l'ITE à un euro n'existe pas. Les aides, via les CEE et Maprimerenov sont généreuses, mais prévoient un reste à charge minimum de 10 % (ménage très modeste) ou 25 % (ménage modeste) pour éviter les dérapages de l'isolation des combles à un euro, où les ménages acceptaient les offres de n'importe qui puisque cela ne coûtait rien, avec pour résultat un travail bâclé. « Visiblement, les démarchages escrocs s'accélèrent, car 10 % de la centaine d'appels de clients que nous recevons par semaine sont désormais des demandes de renseignement sur l'ITE à un euro », s'inquiète Fabien Carpentier chez Enduiest à Pulnoy, près de Nancy qui a vu des courriers de démarchage déposés dans les boites aux lettres de la zone… avec un téléphone mais sans nom d'entreprise.
Contrôles défaillants
« Depuis que l'isolation des combles est davantage contrôlée, les escrocs se sont rabattus sur l'ITE, moins surveillée », reconnaît Christophe Waubant. Les énergéticiens carbonés financeurs des CEE (Total, Engie, EDF, etc...) sont tenus de contrôler 10 % des chantiers pour certains travaux mais pas, pour l'heure, l'ITE. De toute façon les contrôles ne régleraient pas le problème car ils ont souvent lieu un an après.
Si des camions bulgares et polonais ont été repérés, les sociétés véreuses sont françaises et ont généralement le label RGE. Pour obtenir ce dernier, il suffit qu'un chef d'entreprise passe quelques jours en formation et tout son personnel se retrouve labellisé. Il peut ensuite recourir en renfort à de la main d'oeuvre détachée non déclarée. Tout cela n'est pas nouveau. « Certains escrocs français sont bien connus, on les retrouve dans toutes les arnaques depuis 2008 ! Leurs chantiers ne devraient pas pouvoir être financés par les CEE de grands énergéticiens dont le nom inspire confiance aux ménages », s'indignent des professionnels, qui réclament l'intervention des pouvoirs publics.
Les failles du dispositif français sont nombreuses, anciennes et interpellent. Car comment, dans ces conditions, doper les aides à la rénovation énergétique dans le cadre du plan de relance verte que le gouvernement doit annoncer en septembre ? « Vu le montant de l'ITE, il faudrait un contrôle systématique de chaque chantier », estime Benoit Dulac. Une autre possibilité serait de s'inspirer du système allemand, où le bénéficiaire d'aides est obligatoirement accompagné par un expert technique agréé par l'Etat. Quitte, pour financer cet accompagnement, à mettre à contribution les énergéticiens financeurs via les CEE, afin de davantage les responsabiliser sur la qualité du résultat